Le Sahelxit entache l’intégration régional et Africaine
Le 28 janvier 2024, dans un communiqué conjoint, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont annoncé simultanément leur retrait, avec effet immédiat, de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Aux lendemains de cette déclaration, les opposants aux régimes putschistes, notamment la coordination de l’Appel du 20 février (Mali), ont réagi contre ce Sahelxit. Bien qu’ils n’aient pas clairement exprimé leur désaccord, ils ont critiqué cette décision et indiqué qu’elle aurait du faire l’objet de consultations auprès des parlements des trois pays, avant d’être prise.
Cette sortie, sans avis préalable, est un coup dur porté à l’organisation régionale qui se voit encore une fois reprocher, à la veille de son cinquantenaire, son faible impact dans la résolution des crises majeures qui ont affecté et continuent de toucher la région. En outre, sachant que les textes de la CEDEAO prévoient une information préliminaire, pour la mise en œuvre de tout retrait de l’institution et le règlement des implications qu’il entraine dans un délai d’un an, cette prise de position unilatérale de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), sans consultation antérieure, fait apparaître l’ampleur de la fracture entre les 03 pays de la zone des 03 frontrières et le reste du corps économique Ouest Africain.
Alors que l’AES fait désormais cavalier seul, quelles conséquences pour ces 03 pays et le reste de l’espace économique de l’Afrique de l’Ouest ? Faut-il s’attendre à un scénario semblable à celui du Brexit ? Les dessous du Sahelxit explorés dans ce dossier.
Des sanctions peu appréciées !
A la suite des différents coups d’Etat qui ont eu lieu dans ces 3 pays, la CEDEAO avait pris des sanctions à leur encontre pour le retour à l’ordre consititutionnel. Parmi elles, en aout 2020 la fermeture des frontières aériennes et terrestres avec le Mali, ainsi qu’un embargo sur les échanges financiers et commerciaux, à l’exception des produits de première nécessité, imposé à l’ex Soudan Français.
Le Burkina Faso, lui, avait été suspendu des instances de l’organisation et vu ses militaires auteurs du coup soumis à une interdiction de voyage. Des sanctions économiques ont, également, coupé le Niger de bon nombre de ses partenaires commerciaux traditionnels. L’ensemble de ces sanctions, essuyés par les membres de l’AES, ont aggravé l’insécurité alimentaire dans ces territoires en crise.
En parrallèle, au niveau diplomatique, l’institution sous régionale avait organisé plusieurs sommets extraordinaires au cours desquels d’importantes décisions avaient été prises pour amener les nouvelles autorités militaires, à la tête de ces pays, à réinstaurer l’ordre constitutionnel. Des missions ont même été dépêchées pour négocier avec les putschistes. Ces derniers ont, à plusieurs reprises, demandés à l’institution la levée de ces sanctions « qu’ils jugent illégales et illégitimes ! » Sans résultat, si ce n’est leur allègement, notamment pour raison humanitaire. Finalement, elles ont été entièrement levées – La dernière en date avait été levée en juillet 2023. Après la levée définitive des sanctions, d’autres réunions avaient été tentées sans résultats palpables.
Ces tensions entre le Mali, le Niger, le Burkina Faso et la CEDEAO ont connu un autre rebondissement fin janvier 2024, lors de la mission manquée de Niamey qui a conduit le Premier Ministre Nigérien Mahaman Lamine Zeine à qualifier l’institution de « mauvaise foi ». Est-ce le grain de sable qui a fait tourner le sablier ?
Quoi qu’il en soit, cette décision arbitraire, matérialisée par le Sahelxit, intervient dans un contexte de défiance envers l’organisation régionale. De plus, cette annonce, en pleine CAN TotalEnergies Côte d’Ivoire 2023, ressemble à un énième pique lancé à la terre d’éburnie, l’un des poids lourd de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. En effet, ces dernières années, le pays hôte, du 13 janvier 2024 au 11 février 2024, de la grande messe du football Africain est dans le viseur de l’AES, bien résolue à faire de lui le bouc émissaire des tensions actuelles entre elle et le reste de la communauté économique.
Une traversée du désert
Il faut dire que ces mesures ont eu un lourd impact sur les populations, surtout chez celles de ces pays subissant, depuis près d’une décennie maintenant, la pression djihadiste et qui ont décidé de se passer de l’appui de l’ex puissance coloniale. Il faut également souligner que ces terres enclavées sont confrontées, en plus du terrorisme, à de nombreux défis. L’un d’eux étant celui des échanges commerciaux.
Effectivement, les 03 de l’AES ont une balance commerciale déficitaire estimée, fin 2022, à -192,640 milliards FCFA pour le Mali, à -680,260 milliards FCFA pour le Burkina Faso et à -1.167,880 milliards FCFA pour le Niger. Plus de 70% des exportations du Mali et du Burkina Faso repose sur l’or. Le Niger, lui, bien que ne représentant que 4% de la production mondiale d’uranium, est le 7ème plus gros producteur au monde du métal radioactif. Selon l’agence nucléaire Européenne Euratom, en 2022, 25% des importations d’uranium de l’Union Européenne provenait du Mandingue Dhioliba.
En tout état de cause, ces producteurs de minerais ont des échanges intra régionaux assez faibles. L’essentiel de ces échanges repose sur l’exercice du droit de libre circulation des biens et services dans les Etats membres de la CEDEAO et des opportunités de transits et de frets à des tarifs préférentiels qu’il offre, justement pour acheminer (à l’import comme à l’export) les produits, biens et services nécessaires à leur activité économique.
Dans les faits, la majorité des besoins en hydrocarbures et produits miniers, en énergie, en produit agricole, en produits manufacturés, etc. de l’AES sont comblés par l’importation. Et puisque la nature à horreur du vide, à la faveur de sa prise de distance avec ses partenaires historiques, un nouvel acteur se postionne comme un potentiel partenaire privilégié pour l’Alliance.
Ce partenaire, avec qui elle mulitplie, ces derniers temps, les échanges et les demandes d’aide, c’est la Russie. Ainsi, si les vents du désert murmure que la Fédération Russe contribue, en coulisse et pour beaucoup, à la survie de ces régimes, dans un monde où l’équilibre des pouvoirs change et qui voit la naissance de nouveaux blocs, il ne serait pas étonnant que certaines autres puissances œuvrent, dans l’ombre. Ce qui pourrait par ailleurs expliquer l’assurance affichée par les auteurs du Sahelxit.
Les arguments des auteurs du Sahelxit
D’abord, sur la forme, la production conjointe et unilatérale de ce communiqué aux temps forts de la CAN de l’Hospitalité montre la volonté de l’AES d’afficher un front commun, mais aussi d’affirmer sa détermination aux yeux de l’Afrique et du monde, en profitant de l’aura médiatique de cette méga célébration du ballon rond en Afrique. Ensuite, sur le fond, l’AES reproche principalement à la communauté la dureté de ses sanctions et leur impact sur ses populations, ainsi que son manque d’appui dans la lutte contre le terrorisme qui sévit aux frontières des 3 pays. Enfin, elle dit ne plus se reconnaître dans les valeurs, principes et modes opératoires de la CEDEAO.
Si ce Sahelxit pourrait sembler anecdotique, pour une communauté dont la résilience a été de nouveau démontrée, lors des assauts de l’enemi inivisible, grâce à la solidarité dont elle à fait preuve durant le pic de la crise de la Covid-19 et bien après, il faut toujours faire attention quand des membres d’une famille se sentent offusquer, écarter, peu soutenus, négliger, car ces ressentiments, ces sentiments d’exclusion portent les germes de la destruction. Il convient donc de discuter et de trouver un consensus salutaire, surtout dans un espace, comme l’Afrique de l’Ouest, où les relations socioéconomiques sont très imbriquées.
Les pays à l’initiative du Sahelxit pèse 7% du PIB annuel de la CEDEAO
Déjà sur le plan démographique, la population cumulée de ces pays devrait avoisiner, en 2024, près de 72 millions d’habitants, contre 415 millions pour la CEDEAO qui a encore de la marge. En 2022, le PIB du Niger était de 9.210,600 milliards FCFA, avec un déficit budgétaire avoisinant les 6,8% de ce PIB et un taux d’endettement de 51,3% dudit PIB.
Le PIB du Mali était de 11.317, 600 milliards FCFA, avec un déficit budgétaire de 4,8% de ce PIB et un taux d’endettement de 50,4% dudit PIB. Celui du Burkina Faso était aussi de 11.317, 600 milliards FCFA, avec un déficit budgétaire de 8,5% de ce PIB et un taux d’endettement de 57,2% dudit PIB. Réunis, ils comptent pour 33.166 milliards FCFA, soit 7%, dans le PIB annuel de la CEDEAO qui est de 473.252 milliards FCFA, contre 9,20% pour la Côte d’ivoire et 62,68% pour le Nigeria.
Ouagadougou contrôle 2,48% des parts du capital de la Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO (BIDC), contre 2,1% pour Niamey et 1,81% pour Bamako.
Au delà de leur enclavement qui les rend assez dépendants de la zone économique Ouest Africaine, il convient, dans cette analyse, de notifier des points difficilement quantifiables, à savoir : Les échanges transfrontaliers, la transhumance, les flux migratoires interrégionaux, l’activité informel, ainsi que le poids des ressortissants de l’AES (résidents, temporaires, diaspora) dans l’économie Ouest Africaine et de leurs concitoyens travaillant dans les institutions de la communauté qui vont, à la fin du processus, perdre leurs emplois. Sans oublier l’impact social de ce Sahelxit sur les marchés financiers primaires et secondaires, tant au niveau régional, continental qu’international.
Les conséquences probables du Sahelxit
Les engagements de la BIDC s’élèvent pour le Burkina Faso à 192,4 milliards FCFA, à 99,9 milliards de FCFA pour le Niger et à 238 milliards FCFA pour le Mali. Puisque les opérations avec ces pays ne se feront plus, il faudra, pour les membres de la CEDEAO, ses organes et leurs partenaires, recouvrer les prêts antérieurement alloués, ce qui pourrait entrainer soit un moratoire de paiement, soit un durcissement du processus de recouvrement des fonds, à l’issue de ce Sahelxit.
Une fois ce Sahelxit actée, la sortie du Burkina Faso, du Mali et du Niger de l’espace communautaire marquera aussi la fin de la libre circulation des biens et des personnes et ramènera les barrières douanières et commerciales entre les 3 sortants et les 12 restants, ainsi que l’assujettissement à des visas d’entrée pour les ressortissants de l’AES se rendant dans les multiples Etats de la CEDEAO et vice versa.
Il y aura, en outre, la question des droits des ressortissants de l’AES employés dans les organes communautaires et le déménagement des agences spécialisées, comme l’Organisation Ouest Africaine de santé (OOAS) basée à Bobo-Dioulasso, le Centre de Coordination des Ressources en Eau (CCRE) ou encore le Centre de Développement de la Jeunesse et des Sports (CDJSC).
le Sahelxit, une dune sur le chemin de l’intégration régionale et Africaine ?
Quelques mois auparavant, la création de l’Alliances de États du Sahel, scellée par la signature de la « Charte du Liptako-Gourma » mi-septembre 2023, avait creusé un peu plus le fossé entre la communauté et ses 3 pays fondateurs.
Pour rappel, créée le 28 mai 1975, la CEDEAO a été conçue comme un instrument au service de la stabilité de l’Afrique de l’Ouest et de l’intégration économique au sein de cette zone, afin de donner un certain poids, au plan continental et international, à ses états membres. La libre circulation des biens et services dans les territoires des pays signataires de sa charte est un outil essentiel pour booster le commerce intra-régional et un atout supplémentaire pour l’établissement de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAf), sur un continent où les échanges intérieurs peinent encore.
Dans cette marche forcée vers un monde globalisé, ce Sahelxit met donc du sable dans les chaussures de tous ceux qui bataillent pour l’intégration Africaine. De plus, la crise de la Covid-19 l’a bien montré, si le Continent a réussi à encaisser la tempête corona et à se relever, c’est grâce à la solidarité. En effet, l’ennemi invisible a fortement impacté les approvisionnements. En tout état de cause, seule la coopération interrégionale et la robustesse des échanges entre les pays de la zone pourraient permettre aux Etats Africains d’affronter, en l’état actuel des choses, la survenance d’une nouvelle crise d’un tel ordre.
03 jours après l’annonce du Sahelxit, UMOA-Titres portait à la connaissance des investisseurs de l’Union que le Trésor du Burkina a décidé de reporter, à une date ultérieure, l’émission simultanée de Bons et Obligations Assimilables du Trésor, portant sur un montant de 35 milliards de FCFA, initialement prévue pour le mercredi 31 janvier 2024 au calendrier des émissions de titres publics. Toutefois, Dr Nacanbo, le ministre des affaires étrangères du Burkina Faso a rassuré en déclarant que son pays reste membre de l’UEMOA, ce qui pourrait être perçu, de la part de cette alliance qui affiche, depuis ses premières heures, un front commun, comme l’expression la volonté des trois pays de demeurer dans l’union monétaire. Mais jusqu’à quand ? Le 07 février 2024, jour où les Eléphants de Côte d’Ivoire ont obtenu leur ticket pour la finale de 34ème édition de la Coupe d’Afrique des Nations de Football en battant les Léopards de la République Démocratique du Congo sur le score de 1-0, le Ministère des Affaires Etrangères, de la Coopération Régionale et des Burkinabè de l’extérieur a réitéré, dans un communiqué, la décision de retrait sans délai du pays des hommes intègres de la CEDEAO et le caractère irréversible de ce Sahelxit.
KOFFI-KOUAKOU Laussin
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