Interview avec Therence Temfack, Product data Manager chez data354
Sélectionné pour participer à la 5ème édition d’EDF Pulse Africa, le projet de data354 d’identification des gisements de biomasse au moyen de l’analyse d’imagerie satellitaire basée sur une méthode à la fois scalable et économique d’exploitation du potentiel de la biomasse en Afrique de l’Ouest a été le grand gagnant de l’étape Ouest Africaine de ce concours visant à révéler et accompagner les innovateurs Africains engagés pour le développement énergétique bas carbone du Continent. Pourtant, sans qu’elle ne s’en doute encore, pour la startup Ivoirienne data354, cette reconnaissance augurait déjà d’une autre consécration.
En effet, quelque mois après avoir réceptionné son Prix, le jeudi 09 novembre 2023, au Sofitel hôtel Ivoire de Cocody, Abidjan, Côte d’Ivoire, data354 s’envolait pour Paris, afin de participer, le jeudi 07 mars 2024, veille de la Journée Internationale des Droits des Femmes, à la grande finale d’EDF Pulse Africa. Et de la ville lumière, elle n’est pas revenue les mains vides !
data354 et son projet ont remporté le deuxième Prix de cette édition qui, au départ, a enregistré les candidatures de 427 startup issues de plus de la moitié des 55 pays d’Afrique. Auréolée de ses récents succès, la startup Ivoirienne, par l’intémerdiaire de Therence Temfack, le Product Data Manager de data354, a accepté de répondre aux questions posées par KOFFI-KOUAKOU Laussin pour le compte d’Abidjan Economie.
K.K.L. : Monsieur Therence Temfack, vous êtes Titulaire d’un Master en génie mécanique, obtenue à l’Université de Buffalo, aux Etats-Unis, et avez fait vos premières armes dans les industries de l’aérospatiale et de l’automobile. En 2023, vous avez rejoint, en tant que Product Data Manager, data354, une entreprise Ivoirienne spécialisée dans l’analyse des données. Pouvez-vous expliquer ce qu’est l’analyse de données et surtout l’activité cachée derrière ce terme ?
T.T. : Absolument, Monsieur KOFFI-KOUAKOU Laussin. Lorsqu’on parle d’« analyse des données », on évoque en réalité une diversité de métiers essentiels dans le domaine. Permettez-moi, pour répondre à votre question, de présenter quelques-uns des rôles clés qui se cachent derrière ce terme.
Le Data strategist, qui revêt une importance capitale. Et à raison. Ce professionnel aide les organisations à élaborer des stratégies efficaces qui placent les données et l’intelligence artificielle au cœur de leur transformation digitale. Son objectif premier est de déterminer comment exploiter, de manière stratégique, les données pour atteindre les objectifs commerciaux et encourager la croissance.
Le Data engineer, lui, est chargé de la conception et de la mise en place d’infrastructures informatiques solides et évolutives. Pour ce faire, il s’attelle à construire des systèmes capables de gérer de vastes volumes de données de manière automatique. En résumé, son travail consiste à créer des environnements qui facilitent le stockage, la gestion et l’analyse efficace des données.
Enfin, le Data analyst, à son niveau, se consacre à l’analyse des données, afin d’extraire des informations précieuses et des « insights » qui éclairent les prises de décisions au sein des organisations. Son rôle est d’explorer les données, d’identifier les tendances et les modèles significatifs, et de formuler des recommandations pour améliorer les performances et résoudre les défis commerciaux.
K.K.L. : Maintenant que vous avez démeler le terme « analyse des données », la question qui se pose donc est quels services proposez-vous concrêtement, chez data354, et qui sont vos clients ?
T.T. : Il faut dire que les services de data354 s’adressent à une clientèle diversifiée, car dans un monde de plus en plus digitalisé, les données revêtent une importance de taille et sont essentielles à la réussite des entreprises. C’est pourquoi, nous avons structuré notre offre en trois principaux services.
Avec la Data Strategy, nous guidons nos clients dans l’intégration stratégique de la data et de l’IA (Intelligence Artificielle) au cœur de leurs initiatives de transformation et de digitalisation. Cette démarche vise à optimiser leur utilisation des données pour atteindre leurs objectifs commerciaux.
Notre proposition de Data Enablement nous permet de les accompagner dans la mise en place des infrastructures informatiques nécessaires, telles que le Big Data (les données massives) ou les Data Lakes (les centres de stockages de données massives), afin de soutenir leurs ambitions et de leur permettre d’atteindre leurs objectifs, en matière de gestion de données.
En outre, grâce à notre expertise en Data Intelligence, nous développons des solutions personnalisées et intelligentes pour répondre à des besoins et des demandes spécifiques de nos clients, en utilisant des technologies innovantes telles que l’IA générative, à l’instar de chatGPT par exemple, pour apporter des réponses concrètes et à forte valeur ajoutée aux défis, notamment commerciaux, qu’ils rencontrent.
En définitive, nous sommes sollicités par divers secteurs d’activité et nous tachons, autant que faire se peut, de satisfaire la diversité de leurs besoins et demandes, en matière d’analyse et de gestion de données, dans un monde contemporain où l’information se déplace à vitesse grand V et par Péta-octets.
K.K.L. : Aujourd’hui, data354, après 04 ans d’existence, c’est une vingtaine de collaborateurs. Derrière ces chiffres, il y a une histoire, une aventure humaine. Pouvez-vous nous la conter, revenir sur l’idée et le parcours qui ont mené à la création de cette startup Ivoirienne et fait d’elle ce qu’elle est en 2024 ?
T.T. : L’histoire qui a mené à la création de data354 remonte à plusieurs années, en 2016 pour être précis. À cette époque, un événement majeur dans le domaine de l’intelligence artificielle a marqué nos esprits . En effet, cette anné-là, Google a intégré les techniques de deep learning dans son outil de traduction instantanée des mots, des expressions et des pages Web, de langue à langue (Google Translate) et déployé, ainsi, un modèle neuronal de traduction de langage pour machine appelé GNMT. Cet événement significatif a suscité une prise de conscience, quant à la nécessité de développer un acteur majeur Africain dans les domaines de la data et de l’IA.
En effet, cette innovation nous a fait rapidement réaliser que les langues Africaines étaient largement absentes de ces avancées technologiques, ce qui soulignait le manque d’attention accordé au marché Africain par les grandes entreprises technologiques mondiales. Pour nous, Il est donc apparu, comme une évidence, que seuls des acteurs Africains pouvaient être à l’avant-garde pour relever les défis spécifiques du Continent.
C’est ainsi que, de ce constat, est née l’idée de créer une entreprise axée sur les sujets de la data et de l’IA, avec pour ambition de devenir un acteur de premier plan en Afrique. Depuis lors, nous avons parcouru un chemin marqué par des défis et des succès. Tout ce parcours a façonné une aventure humaine riche en expériences et en apprentissages. Aujourd’hui, notre équipe est composée de vingt collaborateurs. Nous sommes fiers de ce que nous avons accompli et sommes déterminés à poursuivre notre mission qui est de contribuer au développement et à l’innovation en Afrique, grâce à la data et à l’IA.
K.K.L. : Comme vous l’avez mentionné, c’est son parcours qui a forgé data354. Justement, dans le cadre de votre développement, quelles stratégies avez-vous mises en place pour pénétrer le marché de l’analyse des données et comment avez-vous été reçu par celui-ci ?
T.T. : En ce qui concerne notre développement sur le marché de l’analyse des données, notre approche pourrait vous surprendre. En effet, notre premier recrutement, sur le volet commercial, s’est fait récemment, en janvier 2024 ! Avant cette date, la priorité de data354 était de renforcer nos compétences techniques. Nous étions convaincus que l’expertise de nos équipes constituerait notre principal atout et je pense que l’histoire nous a donné raison jusqu’à présent.
K.K.L. : De manière plus large, comment l’activité de data354 impacte-t-elle l’économie, en général, et la vie des ménages, en particulier ?
T.T. : La question que vous soulevez est pertinente et j’aurais aimé pouvoir vous fournir des données concrètes pour y répondre. Malheureusement, la plupart de nos projets est réalisée pour des clients privés, ce qui limite notre capacité à partager des informations spécifiques à leur sujet. Cependant, je peux mettre en lumière deux initiatives dont nous sommes particulièrement fiers.
Premièrement, data354 est, depuis plus de deux ans, le partenaire technique du gouvernement Ivoirien pour l’Open Data. Dans le cadre de cette collaboration, nous avons formé près de 20 fonctionnaires et modernisé son portail data.gouv.ci qui offre, désormais et de manière interactive, des données à plus de 600 visiteurs quotidiens. Cette contribution soutient les efforts du gouvernement de Côte d’Ivoire en matière de transparence et d’accès à l’information.
Deuxièmement, nous avons lancé, il y a un an, le projet AQ54 qui vise à mesurer, en continu, la pollution de l’air à travers le déploiement de capteurs. À ce jour, deux capteurs ont été installés et nous prévoyons d’en déployer une dizaine d’autres cette année. Ce projet a pour objectif de sensibiliser les populations à la pollution de l’air et d’aider les autorités publiques à élaborer des politiques visant à améliorer la qualité de l’air et à protéger la santé des habitants. En contribuant à ces initiatives, nous apportons notre modeste contribution à l’amélioration de la qualité de vie des citoyens et à l’épanouissement de la société.
K.K.L. : data354 connait une croissance de 53% ! S’il est un peu trop tôt pour parler de bénéfices pour une startup d’à peine 04 ans d’existence, pouvez-vous révéler votre chiffre d’affaires et vos perspectives pour les années à venir ?
T.T. : Effectivement, il est un peu prématuré de parler de bénéfices pour une startup de seulement quatre ans, mais je suis ravi de partager que nous avons connu une croissance de 53%. En ce qui concerne notre chiffre d’affaires, je préfère ne pas le divulguer pour le moment, mais les perspectives de data354 pour les années à venir sont prometteuses !
À court terme, l’objectif, pour data354, est de maintenir cette croissance et de consolider notre position de leader du conseil en data et en IA en Côte d’Ivoire. Par la suite, nous envisageons d’étendre notre présence en ouvrant des bureaux dans d’autres pays d’Afrique Francophone. Nous avons déjà élaboré une stratégie d’expansion qui nous permettra de saisir de nouvelles opportunités sur le Continent. En poursuivant cette trajectoire, nous sommes confiants dans notre capacité à réaliser notre vision et à continuer à apporter une valeur ajoutée à nos clients et à la communauté dans son ensemble.
K.K.L. : Le jeudi 09 novembre 2023, data354 a remporté l’étape Ouest Africaine de la 5ème édition du Prix EDF Pulse Africa, le grand concours d’innovation technologique dédié aux startup Africaines, et empoché un chèque de 1 million FCFA. Le jeudi 07 mars 2024, vous avez gagné le deuxième Prix à la grande finale Parisienne du concours et bénéficiez maintenant, non seulement du programme « EDF Pulse Africa Accelerator », mais également d’un financement de votre projet à hauteur de 10 millions FCFA, voire plus. Comment avez- vous entendu parler de ce concours ? Comment s’est passé le processus de sélection ? Qu’est-ce que le fait d’avoir fait briller les couleurs Ivoiriennes, ce 07 mars 2024, à Paris, signifie pour votre projet entrepreneurial ?
T.T. : J’ai découvert l’opportunité du Prix EDF Pulse Africa en parcourant mon fil d’actualité sur LinkedIn. Dès que j’ai pris connaissance du concours, j’ai immédiatement réalisé que notre projet WatchMyTree correspondait parfaitement aux critères du programme EDF Pulse Africa. Il était donc tout naturel pour nous de soumettre notre candidature en ligne. Quelques mois après, nous avons reçu une notification nous informant que nous avions été présélectionnés pour la zone Afrique de l’Ouest et que nous devions présenter notre projet devant un jury pluridisciplinaire, en compétition avec d’autres startups de la sous-région.
Je pense que la pertinence de notre projet, ainsi que son caractère novateur et digital avec l’intégration de l’IA, ont suffisamment impressionné le jury pour nous assurer une place à la grande finale, à Paris. Être finaliste et remporté le deuxième Prix représente une formidable reconnaissance. Particulièrement quand celle-ci vient d’EDF, une multinationale reconnue sur la scène internationale.
C’est une validation non seulement pour notre projet WatchMyTree, mais aussi pour toutes nos autres activités chez data354. Cela nous donne un élan supplémentaire pour continuer sur notre lancée et c’est une grande source de fierté pour toute l’équipe de data354 en Côte d’Ivoire, d’autant plus après la victoire à domicile, lors de la Coupe d’Afrique des Nations de Football (CAN), cette année.
K.K.L. : Comment percevez-vous le rôle de l’analyse des données dans le monde actuel ?
T.T. : L’analyse des données occupe une place cruciale dans le monde contemporain. Historiquement, elle a toujours été essentielle pour prendre des décisions éclairées, en suivant les étapes de description, de diagnostic, de prédiction et de prescription. Aujourd’hui, son importance est encore plus grande, grâce aux avancées technologiques qui permettent de traiter des volumes de données toujours plus importants et de traverser ces étapes plus rapidement, tout en produisant des résultats de qualité constamment améliorée.
K.K.L. : Quels seront , selon vous et data354, son impact et sa place dans les process dans les 10 années à venir ?
T.T. : Dans les 10 prochaines années, l’analyse de données devrait devenir la pierre angulaire des systèmes de recommandations dans tous les domaines. Je prévois, et je ne pense pas que l’équipe de data354 me contredira sur ce point, que la normalisation des processus entraînera une standardisation qui imposera l’analyse de données automatisée comme fondement de la prise de décision. Progressivement, cela déplacera la responsabilité de la prise de décision de l’humain vers les systèmes d’analyse.
K.K.L. : Comment les acteurs de l’économie, publics comme privés, peuvent-il et/ou doivent-ils accompagner votre secteur en pleine expansion, mais dont l’importance est mal appréciée par la majorité ?
T.T. : Les acteurs de l’économie, qu’ils soient publics ou privés, commencent à prendre conscience de l’importance cruciale des données et de l’intelligence artificielle dans leurs activités, ainsi que du rôle qu’ils peuvent jouer pour favoriser l’essor de notre secteur. Deux domaines méritent une attention particulière à cet égard : la formation et la réglementation. Il est impératif que les acteurs publics et privés collaborent pour promouvoir ces deux aspects et veiller à ce que les talents locaux se développent avec les compétences nécessaire dans un environnement favorable à l’exploitation du potentiel considérable que nous possédons.
Selon le rapport 2023 de la plateforme Africa : The Big Deal, les startup implantées en Afrique ont levé au total 1.738,245 milliards FCFA en 2023, soit 39% de moins qu’en 2022, du fait du recul des investissements en Afrique de l’Ouest (-62%), en Afrique de l’Est (-29%) et en Afrique du Nord (-39%). L’Afrique Centrale, qui ne représente que 2% du poids total de l’Afrique en la matière, a été la seule région du Continent à connaître une croissance positive des investissements dans ses startup (+33%) en 2023. Dans cette enveloppe financière, les startup de Côte d’Ivoire, tous secteurs confondus, n’ont récolté que 10,189 milliards FCFA, cette année-là.
KOFFI-KOUAKOU Laussin
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