Tech : IA, protection des infrastructures et de l’activité cyber, les nouveaux enjeux de l’Afrique ?

Le Cyber Africa Forum est une plateforme d'experts engagés par la cyberprotection de l'Afrique
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Le Sofitel Hôtel Ivoire accueille le 4ème Cyber Africa Forum

Ce vendredi matin-là, la capitale économique Ivoirienne montre un visage bien calme. Un visage qui ne reflète pas le dynamisme qu’on lui connaît habituellement. La raison ? Un évènement majeur a quasiment paralysé, pendant plus de 24 heures, les activités dans le pays et également affecté plus d’une quinzaine d’autres Etats Africains.

Côte d’Ivoire, Liberia, Bénin, Ghana, Burkina Faso, Togo, Cameroun, Gabon, Namibie, Niger, Nigeria ou encore Rwanda, Lesotho, Afrique du Sud, l’île Maurice…

La veille, toutes ces nations Africaines ont vécu un jeudi noir. En effet, le 14 mars 2024, 04 câbles sous-marins de fibre optique – WACS, MainOne, SAT3 et ACE – ont été endommagés. Cet incident a entraîné de grosses perturbations dans la fourniture internet distribuée par les opérateurs Télécoms Orange, MTN et Vodaphone/SFR dans ces pays. Entreprises au ralenti, opération bancaires impossibles, seul le réseau Moov Africa a été épargné par cette panne généralisée de connectivité et en terre d’éburnie, l’un des territoires le plus éprouvé par ce « Blackout », seulement 3% des internautes avaient une connexion active ce jeudi en question, selon l’ONG NetBlocks.

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Le lendemain de ce « Black Thursday », les organisateurs du Cyber Africa Forum ont tenu une conférence, prévue de longue date, à l’Ivoire Trade Center, le bâtiment situé en face du lieu qui accueillera, dans à peine un mois, leur évènement.

En amont de cette entrée en matière dans la 4ème édition du Cyber Africa Forum, le rendez-vous annuel pour la protection des infrastructures cyber, virtuelles comme réelles, sur le Continent, au 4ème étage de la Tour C de l’ITC, dans les locaux de Deloitte, partenaire de la rencontre, les discussions tournaient autour du retour progressif, constaté, de la connectivité et de cette journée où la Côte d’Ivoire est presque devenue, durant l’espace d’un peu plus de 1.440 minutes, une zone blanche…

Le 15 mars 2024, une conférence Cyber Africa Forum s'est tenu au siège de Deloitte
Les conférenciers de la rencontre Cyber Africa Forum affiché à l’écran

Pour Franck Kié – Fondateur et Commissaire Général du Cyber Africa Forum, Hervé Bah – Directeur Technology, Data & Cyber Risk Advisory chez Deloitte, Hervé Iro Mondouho – Territory Channel Manager North, West & Central Africa chez Kaspersky,

ainsi que Zagba Sylvestre – Chief Technical Officer chez DataConnect New Digital Africa et Raïssa Banhoro – Directrice de Simplon Côte d’Ivoire, les 05 intervenants de cette discussion organisée en prélude du Cyber Africa Forum 2024, cette journée sans internet a mis en lumière une stratégie prônée par la plateforme pour la cybersécurité en Afrique depuis ses débuts : La proactivité. Plus clairement, la planification d’actions, à court, moyen et long terme pour la protection, physique et virtuelle, du cyberespace Africain. Car, bien que son énorme potentiel soit admis de tous et de toutes, l’Intelligence Artificielle, au centre de la thématique du prochain Cyber Africa Forum, ne peut, de toute évidence, pas fonctionner et se développer sans infrastructures stables et protégées.

A l’entame de cette conférence initiée dans le cadre de l’annonce du prochain Cyber Africa Forum, Raïssa Banhoro a rappelé que l’IA, « cet ensemble d’algorithmes complexes conçu pour imiter l’intelligence humaine, voire la dépasser », n’est pas une technologie nouvelle et a contextualisé sa popularité actuelle : « (…) Depuis 2022, avec le lancement de ChatGPT, nous avons assisté à une démocratisation de l’IA générative, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives. Cette nouvelle force motrice, que représente l’IA, souligne l’importance de discuter des défis et des opportunités de cette technologie sur notre Continent, en tenant compte de son intégration croissante dans nos vies quotidiennes. » A-t-elle argué.

La rejoignant sur ce point, Hervé Bah a expliqué que l’Intelligence Artificielle promet en effet d’apporter des changements significatifs dans divers secteurs d’activité : « En Afrique, son impact potentiel est particulièrement visible dans l’agriculture, tout d’abord, où elle peut optimiser les pratiques agricoles et améliorer les rendements. Le secteur de la santé n’est pas en reste !

L’IA peut faciliter les consultations à distance et améliorer les diagnostics par exemple. Dans l’éducation également, cette technologie promet une transformation majeure, car elle offre de nouvelles opportunités d’apprentissage et de développement. Intégrée dans les administrations, elle peut permettre de lutter contre la corruption, faciliter l’accès aux services publics et le traitement d’un volume important de dossiers répétitifs qui ne nécessitent pas une intervention humaine omniprésente (…) »

A-t-il indiqué pendant cette rencontre du Cyber Africa Forum avant d’ajouter « (…) Cependant, si l’IA renforce la cybersécurité en permettant une réponse plus rapide et proactive aux attaques, elle permet également aux acteurs malveillants de lancer des attaques plus sophistiquées. Par conséquent, il est impératif de renforcer les processus de cybersécurité et de protection des infrastructures, le risque cyber étant aujourd’hui l’un des 03 principaux risques identifiés dans les entreprises. »

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Conférence Cyber Africa Forum, le 15 mars 2024, au siège de Deloitte Abidjan, Côte d’Ivoire

Des propos soutenus par Franck Kié qui a souligné qu’en plus de sensibiliser et de former aux bonnes pratiques en la matière, il est aussi essentiel d’investir dans les infrastructures technologiques et dans leur protection. Et pour cause. Effectivement, l’efficacité de l’IA est directement liée à sa capacité à collecter des données, d’où l’importance primordiale des infrastructures de stockage associées à cette technologie.

En conséquence, le Commissaire Général du Cyber Africa Forum estime que, pour lui : « l’IA représente La force technologique à l’heure actuelle (…) Or, sans infrastructure, il n’est pas possible de parler d’IA. Il est donc plus qu’essentiel de stimuler les investissements dans ce secteur et de favoriser un environnement propice à l’innovation. Pour ce faire, nous devons sécuriser les infrastructures et je pense, vu l’impact de la crise d’hier, que les plans de cessation d’activité vont être implémentés de manière pérenne dans la gestion de nos entités privées et publiques, ici comme ailleurs (…)

Aujourd’hui, nous sommes dépendants d’infrastructures et d’alternatives que nous ne maîtrisons pas ! Il nous faut donc réévaluer tout cela, afin de s’approprier ces dernières et être plus efficients, en termes de souveraineté numérique (…) Il nous faut adopter une politique et une réglementation de gouvernance des données qui conduira à la définition d’un certain nombre d’actions, dans le cadre d’une collaboration, d’une concertation entre les secteurs public et privé (…) Le Cyber Africa Forum est une plateforme essentielle pour l’évaluation de l’état des infrastructures et la prise de décisions stratégiques pour l’avenir. » A conclu l’instigateur du Cyber Africa Forum.

Récemment, le groupe de cybercriminels Lockbit, spécialisé dans les attaques par ransomwares (rançongiciels) à diffuser 280 Go de données du leader des cosmétiques en Afrique de l’Ouest, la Nouvelle Parfumerie Gandour. Pendant son intervention, Zagba Sylvestre a déclaré : « Tout système a des vulnérabilités ! La cybersécurité est une course quotidienne pour réduire ces vulnérabilités, résoudre ou corriger la faille, car, aujourd’hui, les menaces sont de plus en plus sophistiquées (…)

Les machines et l’IA analysent les comportements des masses, à travers le traitement de volumes significatifs de données, avec célérité, ce qui en fait des outils formidables pour bloquer les menaces et les hackers (…) Elles permettent de mieux appréhender les menaces, en analysant et en décryptant les comportements des actes malveillants. Grâce à cette capacité, il devient dès lors possible d’anticiper les actions des hackers et d’accélérer, ainsi, la détection et le blocage des menaces de manière plus efficace (…)

Toutefois, cela coûte extrêmement cher ! Or, les hackers utilisent également ces technologies, ainsi que l’IA, et nous n’avons pas, actuellement, de cadre pour retenir les talents dans nos pays. Ce qui fait que ceux-ci sont happés et partent tous dans des contrées, plus attrayantes professionnellement, qui disposent d’un cadre approprié au développement et à l’exploitation de leurs compétences (…) Dans les data centers locaux, comme ceux que nous proposons, les coûts sont partagés, ce qui rend les instruments de cyberprotection et de cybersécurité plus accessibles (…) Le Cyber Africa Forum 2024 sera une belle opportunité de parler, plus en profondeur, de tous ces défis. »

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De gauche à droite, Raïssa Banhoro, Hervé Bah, Franck Kié, Hervé Iro Mondouho et Zagba Sylvestre lors de la Conférence Cyber Africa Forum du 15 mars 2024

Une semaine plutôt, Kaspersky organisait son meeting annuel au Noom Hôtel du centre des affaires de la capitale économique Ivoirienne, le Plateau. Lors de ce KNext Abidjan 2024, des chiffres ont été dévoilés. Des chiffres sur lesquels est revenu Hervé Iro Mondouho durant cette conférence pré Cyber Africa Forum 2024 :

« L’erreur étant avant tout humaine, le renforcement de la cyber résilience doit avant tout passer par la formation et la sensibilisation des collaborateurs aux risques auxquels ils peuvent être confrontés dans une ère de plus en plus digitalisée. Dans le cadre de notre étude réalisée auprès de 350 entreprises, en Côte d’Ivoire, 54% des sondées ne disposaient pas de politique de sensibilisation pour leurs employés (…) L’humain, perçu comme le maillon faible dans la chaîne de sécurité, peut donc être transformé en maillon fort, grâce à la formation et la sensibilisation (…)

De notre point de vue, en Côte d’Ivoire, il y a beaucoup de choses à faire en termes de gestion des données et d’IA, du fait, notamment, d’un manque de ressources humaines pour répondre à nos défis spécifiques. Dans ce domaine, nous sommes à un état embryonnaire. Pourtant, il y a pas mal d’actions à mener à ce niveau-là (…) » Concernant l’adoption de l’IA, il a, entre autres, notifié qu’elle fait déjà partie de notre quotidien. Et ce, depuis belle lurette : « Depuis des années, les fournisseurs de logiciels, d’antivirus, etc. utilisent l’IA. Prenons l’exemple de Google Maps présent dans notre quotidien depuis des années. Vous l’utilisez depuis des années sans forcément savoir que vous utilisez une IA. »

Questionné sur les solutions qui auraient pu permettre d’éviter le « Blackout » de la veille, comme par exemple un intranet national, régional ou continental, Zagba Sylvestre a fait comprendre qu’il aurait fallu l’existence, harmonisée et réglementée, de données locales (data centers). « De plus, en Côte d’Ivoire, on n’a pas de routage local pour assurer une interconnectivité locale (…) Pas mal de projets de déploiement de satellites sont à l’étude, en Afrique (…)

Dans tous les cas, il y a du chemin à faire. Pour cela, il faut que les acteurs se mettent ensemble et je pense que la 4ème édition du Cyber Africa Forum, qui se déroulera les 15 et 16 avril 2024, au Sofitel Hôtel Ivoire, est une bonne occasion de plancher sur ces questions. » A-t-il analysé. Quant à Hervé Iro Mondouho, il a fait observer que « l’homme avance avec les chocs ! » C’est pourquoi, il pense que « ce jeudi noir fera sortir beaucoup de projets des tiroirs. »

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Au centre Khalil Konaté, Ministre de de la Transition Numérique et de la Digitalisation de la République de Côte d’Ivoire et parrain du 4ème Cyber Africa Forum, entouré de représentant des fournisseurs Internet
04 jours après le « Black Thursday », Khalil Konaté, le parrain de la 4ème édition du Cyber Africa Forum, a eu un échange, le lundi 18 mars 2024, à son cabinet, avec des représentants de fournisseurs d’internet, afin d’avoir un point de la situation de crise de l’internet que connaît le pays depuis le jeudi 14 mars 2024. A la sortie de cette rencontre, le Ministre Ivoirien de la Transition Numérique et de la Digitalisation a affirmé que tous les services sont fonctionnels : « Je veux parler des services d’internet pour l’usager, les services de messagerie, les réseaux sociaux. L’accès aux contenus est restauré par des opérateurs. Toutefois, il reste à restaurer progressivement la capacité internet (qui est de 75% à 85% chez les uns et 100 % pour les autres), ainsi que le confort à l’usager. La montée en puissance des opérateurs se fait progressivement. Toutefois, pour restaurer à 100% les capacités des opérateurs, qui se situent aujourd’hui de l’ordre de 70% à 80%, il faudra entre 02 à 03 semaines de travaux. Un navire câblier est en chemin vers la Côte d’Ivoire et l’État fera sa part pour permettre d’accéder aux sites localisés (les sections des câbles), afin de procéder aux travaux. » A-t-il assuré. De leurs côtés, les opérateurs Télécoms ont annoncé des reports de crédits internet (data) en lien avec les 02 jours de crise.

KOFFI-KOUAKOU Laussin